Texte par Hugo Gallier, étudiant au doctorat en Sciences de l’eau à l’INRS-ETE (ville de Québec, Québec)
Les écosystèmes aquatiques sont de plus en plus affectés par les diverses pressions qui structurent la diversité des organismes de ces milieux. En eau douce, ce sont notamment les conséquences des changements climatiques et des activités humaines qui influencent les communautés de poissons. Ces pressions modifient les conditions environnementales, ce qui dérègle par la suite le cycle de vie des poissons. Les espèces migratrices, par leur mode de vie complexe et bien adapté à leur milieu, sont encore plus vulnérables aux changements de leur écosystème. Parmi ces organismes migrateurs, le saumon atlantique (Salmo salar) fait face aux pressions agissant sur les milieux d’eau douce, mais aussi à celles retrouvées en mer. Depuis plus de 40 ans, ces pressions cumulées ont entraîné une baisse des populations à l’échelle globale, mais aussi localement avec la diminution drastique de l’abondance en saumon atlantique dans les rivières québécoises lors des dernières années. Le saumon atlantique est une espèce culturellement importante pour les Premières Nations et les Québécois. L’espèce est aussi économiquement essentielle pour la pêche récréative, puisqu’elle apporte des retombées de plusieurs millions de dollars par an (Chambre des communes, 2017). La diminution de l’abondance de cette espèce emblématique affectera l’écologie des milieux d’eau douce et la pêche récréative au Québec.

Crédit photo – Gabriel Guité LeBlanc
Des populations en déclin
Le saumon atlantique est une espèce ayant une aire de répartition importante entre les rivières d’Espagne jusqu’à celles du territoire du Labrador au Canada. Malgré cette présence intercontinentale, les populations de cette espèce ont subi d’importants déclins depuis plus de 40 ans. Observables de différentes manières, comme le tonnage de pêche ou encore le retour des reproducteurs, les tendances mondiales de l’abondance de l’espèce sont globalement à la baisse. Résultante de ces diminutions, la pêche commerciale du saumon atlantique sauvage a été interdite au Canada en 2000. Le Québec a été le précurseur de ces mesures de restriction en 1972, suivi par la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick et l’Île-du-Prince-Édouard en 1984.
C’est en 1992 que ces restrictions sont adoptées à Terre-Neuve, puis six ans après au Labrador. Malgré ces mesures de pêche, le retour des reproducteurs, notamment des grands saumons qui restent plusieurs hivers en mer et qui ont par conséquent une fécondité plus importante, a diminué. Au Québec, le nombre des retours de ces grands saumons était estimé à 103 500 individus en 1970, ce chiffre est passé à 29 700 en 2023 (ICES, 2024). Ces tendances sont observables partout à l’est du Canada (Fig. 2), sauf au nord du pays et notamment au Labrador, qui présente des retours totaux de reproducteurs en hausse, passant de 59 100 individus en 1970 à 451 200 individus en 2023 (ICES, 2024). Les hypothèses concernant cette tendance à la migration du saumon atlantique vers les rivières du nord du Canada reposent sur le fait que les conditions environnementales des rivières, comme une hausse de la température de l’eau et la perte d’habitats, sont moins adéquates pour la vie de l’espèce dans les rivières du sud du pays. L’état de l’espèce d’un point de vue global reste tout de même préoccupant et elle a été reclassée comme étant « quasi menacée » par l’ICES en 2022.

Fig. 1. Nombre de retours des reproducteurs de saumon atlantique en Amérique du Nord selon différentes régions géographiques de 1970 à 2023
Quand le climat dérègle la distribution des poissons
Les conséquences des changements climatiques en milieu marin sont principalement l’augmentation de la température de l’eau et du niveau de la mer ainsi que l’acidification des océans. En eau douce, les répercussions majeures des changements climatiques sont visibles, notamment durant la période estivale avec l’augmentation de la température de l’eau et la baisse des débits. Ces variations des conditions du milieu conditionnent grandement le cycle de vie du saumon atlantique. En effet, la dévalaison et la montaison de cette espèce sont influencées par les variations de débits, tandis que la température de l’eau dicte la fraie et la disponibilité des habitats. Les effets cumulés de ces variations de l’environnement conduisent à une baisse de l’abondance de saumon atlantique dans la majorité des rivières à saumon. D’après les projections climatiques du GIEC (2020), qui anticipent une évolution du climat aussi défavorable, voire plus marquée qu’aujourd’hui d’ici la fin du siècle, les populations de saumon atlantique pourraient fortement décliner, au point de provoquer des extinctions locales.

Sols modifiés, poissons affectés
L’augmentation de la population humaine engendre une croissance constante des aires urbaines, agricoles ainsi que les zones dédiées pour la foresterie. L’utilisation des sols cause des modifications de ces milieux et potentiellement des écosystèmes aquatiques. En plus de s’étendre et de réduire les habitats des organismes aquatiques, les zones urbaines sont une source importante de pollution chimique et organique. Concernant les zones agricoles, ce sont aussi des pollutions aux composés organiques et chimiques, comme les composés phosphatés et les pesticides, qui sont observables. De plus, la perte de la végétation riveraine entraîne une perte d’habitats pour les poissons, modifiant ainsi les mécanismes de vie de ces organismes, comme la reproduction et la prédation. On retrouve sur les rivières québécoises de nombreux barrages, dont certains sont hydroélectriques. Ces infrastructures modifient principalement le régime hydrologique et complexifient, voire coupent, la connectivité entre les habitats nécessaires pour les espèces migratrices, comme le saumon atlantique, ce qui réduit ainsi la reproduction de ces poissons. Toutes ces pressions ont un impact singulier sur le saumon atlantique, mais, lorsque cumulées, ces variables peuvent grandement altérer les populations.


Fig. 3. Photo satellitaire montrant l’utilisation du territoire autour de la rivière du Gouffre à Baie-SaintPaul entre 1985 (haut) et 2020 (bas)
La recherche scientifique pour aider l’espèce
Mon projet de doctorat (2025-2029) a pour but de prédire la répartition du saumon atlantique en prenant en compte les changements climatiques et l’utilisation du territoire à l’aide de différentes méthodes de modélisation. Ensuite, je vais étudier les effets cumulés de ces deux processus afin de déterminer une priorisation des actions de conservation les plus appropriées. La zone d’étude de ce projet sera tout d’abord concentrée sur les rivières à saumon du Québec. Dans un premier temps, j’étudierai l’influence de l’utilisation du territoire sur le saumon atlantique à partir des réponses physiologiques de l’espèce face à différentes variables environnementales en utilisant un modèle bioénergétique (Fish Bioenergetics 4.0 - Deslauriers et al., 2017). Ces données couplées aux données de qualité de l’eau des rivières ainsi qu’aux données d’occupation du territoire — zones urbaines, agricoles et forestières — permettront d’étudier chacune des rivières à saumon. Ensuite, mon but sera d’évaluer les dynamiques population elles de l’espèce face à l’augmentation de la température de l’eau et d’intégrer les scénarios de réchauffement du climat. Enfin, le dernier objectif de mon doctorat sera d’étudier les effets cumulés de l’utilisation du territoire et des changements climatiques afin d’apporter une expertise pour aider à la protection et la conservation du saumon atlantique en utilisant le modèle CEMPRA (Cumulative Effects Model for Prioritizing Recovery Actions)

Fig.4 . Exemple de résultat (non représentatif) pouvant être obtenu à l’aide du modèle CEMPRA mettant en évidence la qualité des tronçons pour le saumon atlantique selon des variables environnementales à l’embouchure de la rivière Sainte-Marguerite
Un projet pour aider à la protection et conservation de l’espèce
Les résultats de ce projet permettront tout d’abord d’en apprendre davantage sur les effets cumulés en relation avec l’utilisation du territoire et des changements climatiques sur le saumon atlantique. Ce projet servira d’outil d’aide à la décision pour orienter les actions de conservation et de restauration du saumon atlantique vers les rivières les plus touchées par l’utilisation des sols et les changements climatiques, aujourd’hui et dans les scénarios futurs. Par exemple, dans des zones où la disponibilité de l’habitat est faible et que la température de l’eau est élevée pour le saumon atlantique, la végétalisation de la bande riveraine pourrait améliorer la qualité et la quantité d’habitats pour l’espèce.

Crédit photo - Aglaé Lambert / Fig. 5. Tacon de saumon atlantique attrapé dans la rivière Jacques-Cartier










